La soumission féminine en recul : "Je pensais être soumise, mais c'est simplement ce que mes partenaires attendaient de moi"

Woman sitting back with man holding a whip.

La domination masculine s'est longtemps inscrite dans toutes les formes de rapports entre femmes et hommes. Dans le monde du travail, à la maison, mais aussi au lit, la société patriarcale laissait son empreinte et ces dames étaient souvent qualifiées de "soumises", face aux "mâles dominants". Pourtant, ces rapports de domination séduisent de moins en moins les femmes. Est-ce l'effet de #MeToo et du développement exponentiel du féminisme ?

La sexualité est un domaine fluide, au sein duquel les goûts comme les pratiques peuvent évoluer avec le temps, l'âge et les découvertes. Mais aussi avec les avancées sociétales. En effet, si le mouvement #MeToo a permis une véritable libération de la parole en matière d'agressions sexuelles et de viols subis, elle a aussi encouragé bien des femmes à s'interroger sur les rapports de domination et de soumission qu'elles pouvaient entretenir avec leurs partenaires sexuels.

Une baisse notable des rapports de soumission féminine

Selon une étude Ifop menée dans le cadre de l'Observatoire européen de la sexualité, force est de constater que les rapports de domination masculine et de soumission féminine sont en net recul en France. En particulier concernant certaines pratiques. Ainsi, le pourcentage de femmes ayant accepté une éjaculation buccale est passé de 52 à 45%, le fait d'avaler le sperme de son partenaire a reculé de 13 points (de 46 à 33%), et les éjaculations faciales de 6 points (de 27 à 21%).

Ces chiffres n'étonnent pas vraiment Léa, 31 ans, qui s'interroge beaucoup sur sa sexualité depuis quelques années. "Je ne sais pas si c'est à cause de #MeToo, mais c'est sûr que c'est grâce au féminisme. Plus je repense à mes rapports sexuels par le passé, plus je me dis qu'il y a des choses que j'acceptais pour faire plaisir à mes partenaires masculins, alors que ça ne me plaisait pas du tout. Typiquement, je n'ai jamais aimé les faciales, ni le fait d'avaler du sperme. Mais pour beaucoup de mes ex, c'était un passage obligé de la fellation, il fallait faire comme dans les pornos. Peu importe si j'aimais ça ou pas."

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Même constat pour June, qui évolue quant à elle en tant que "switch" (personne qui apprécie autant la soumission que la domination, ndlr) depuis plus de 10 ans maintenant. "Pendant longtemps j'ai eu plusieurs partenaires hommes cis de bondage, ils ont tous eu des comportements abusifs, avec moi ou avec d'autres femmes. Ça a évidemment mis à mal ma confiance envers les hommes cis et l'intérêt que j'avais pour cette pratique, je m'en suis beaucoup détachée."

Les rapports de domination et de soumission sont-ils sexistes ?

Le BDSM et son univers un peu obscur a été mis en avant il y a quelques années lors de la sortie de 50 Nuances de Grey, mais à l'époque, bon nombre d'acteurs de ce milieu avaient critiqué ce qu'ils considéraient comme une représentation trompeuse, contraire au consentement qui est la base de leur pratique. Mais quoi qu'il en soit, pour June, le BDSM reste fondamentalement sexiste : "La société est sexiste, le BDSM l'est forcément aussi. Le BDSM hétéronormé est empreint de ces stéréotypes de domination genrée, il les exacerbe. C'est un milieu très codifié, très normé, que ça soit au niveau des pratiques ou des rôles. Les dominants aiment s'auto-proclamer "mâles alphas", il est attendu d'eux qu'ils se conforment à une esthétique particulière. Ainsi un homme qui vient en club en jupe et talons aiguilles sera systématiquement perçu comme soumis féminisé de force. Même quand ce sont les hommes qui sont dominés ça reste codifié, et on perçoit souvent un genre de dédain de la part des dominants, ils ne correspondent pas à une vision de la masculinité encouragée. De même, en club, on attend de la domina qu'elle soit puissante et vêtue, qu'elle endosse les mêmes attributs que les hommes, à la différence des soumises qui sont souvent très dévêtues."

C'est d'ailleurs la raison pour laquelle cette dernière s'est éloignée du BDSM entre partenaires de sexe opposé. "Du côté du milieu queer à l'inverse on va observer des jeux moins codifiés, une réappropriation des codes pour les subvertir et les rendre plus fluides. J'ai pour ma part délaissé les milieux hétéro-normés, je ne joue plus qu'avec des queers, qui essaient de déconstruire leur rapport à la sexualité."

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Déconstruire et repenser sa sexualité pour mieux l'apprécier

L'idée de déconstruction, très présente dans le féminisme, est aussi essentielle d'un point de vue sexuel. Mais en quoi ce principe consiste-t-il ? June l'explique à la perfection : "Il me paraît primordial de comprendre pourquoi on est attiré par telle ou telle pratique. Qu'est-ce qui m'intéresse vraiment dans la domination ou la soumission ? Est-ce que je viens chercher à explorer une envie d'échange de pouvoir dans le cadre d'un jeu négocié, ou à perpétuer des pratiques que je pense être les seules acceptables pour mon genre ?" Ces questions, Léa se les pose encore aujourd'hui. "Pendant longtemps, j'ai été persuadée d'être soumise, mais je réalise que c'est parce que c'était ce que mes partenaires attendaient de moi. Ils voulaient que je sois docile, obéissante, et je me suis glissée facilement dans ce rôle... Peut-être parce que les femmes sont, encore aujourd'hui, éduquées pour être comme ça."

Une impression étayée par les constatations de June à ce sujet : "Je pense que les imaginaires sexuels masculins sont souvent orientés vers la domination car c'est ce qui est socialement attendu de l'homme : qu'il soit fort, actif, pénétrant, et non pas pénétré. De même, le rôle de soumission des femmes n'est pas naturel, il est construit par la société, par les productions culturelles etc. Dans les films c'est toujours l'homme qui plaque la femme contre un mur et l'embrasse fougueusement, et les rares représentations de femmes dominantes (Catwoman !) montrent des modèles inaccessibles, dangereux et cruels dans lesquels les femmes peuvent moins facilement se projeter."

Les hommes, prêts à échanger les rôles ?

Depuis qu'elle a remis en question son goût pour la soumission, Léa se découvre switch à tendance dominante, et elle découvre de plus en plus que ses partenaires masculins apprécient d'être dominés, y compris ceux qui ne juraient jusqu'à présent que par la domination. "J'ai introduit un rapport de force inversé avec mes derniers amants, et j'ai même fait découvrir le pegging à l'un d'entre eux, et franchement, c'est que du bonheur pour moi comme pour lui. À tel point que je me demande combien d'hommes font semblant de vouloir dominer leurs partenaires sous prétexte que c'est ce que la société attend d'eux. Ça expliquerait pas mal de fessées mollassonnes que j'ai pu recevoir par le passé."

"J'ai eu beaucoup de partenaires hommes fatigués de devoir jouer ce rôle de dominant, et qui auraient aimé que leurs copines endossent ce rôle", confirme June. D'ailleurs, le sondage de l'Ifop montre une certaine évolution à ce niveau, puisque 22% des sondées ont déjà eu un partenaire qui souhaitait recevoir des doigts dans l'anus, et 12% qui appréciaient d'être pénétrés avec un godemichet. Or, et en dépit des plaisirs prostatiques que la pénétration anale peut procurer aux hommes, ces pratiques restent intrinsèquement liées à une forme de soumission masculine dans l'imaginaire collectif.

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