#MeToo du vin : "Dans la cave, il se masturbait en me regardant"
Ce samedi 4 novembre, Konbini a publié les témoignages de professionnelles issues du milieu du vin. Elles décrivent des comportements sexistes à leur égard, du harcèlement sexuel sur leur lieu de travail, des agressions sexuelles et des viols, de la part d'hommes qui sont parfois des pontes du domaine viticole. Dans les caves et les arrières-boutiques, mais aussi publiquement, plusieurs femmes ont été abusées et dénigrées par leurs collègues masculins. Mais la parole, petit à petit, se libère, portée par l'affaire Marc Sibard, condamné en 2017 : le monde du vin fait son #MeToo.
Longtemps, le vin a été l'apanage des hommes. Il suffit de voir, au restaurant, les clients qui sont quasiment toujours, par défaut, consultés pour goûter le vin, au détriment de leur partenaire féminine. Alcooliques, les hommes sont des "bons vivants", les femmes des "dépravées". Côté production, vente, et service, c'est la même chose. Parfois en bien pire.
"Dans le milieu du vin, les hommes ont, encore, plus de pouvoir que les femmes, parce qu'on leur a donné la chance, il y a vingt ans, d'apprendre le vin, servir le vin, faire le vin. Les femmes étaient complètement sur le côté, ils ont les bouteilles, ils ont le savoir" a ainsi témoigné Margaux*, ancienne sommelière, auprès de Konbini, qui a recueilli la parole de plusieurs femmes. Elles semblent toutes tomber d'accord : les hommes à qui elles ont eu affaire sont bien conscients de leur avance et de leur privilèges, et en abusent parfois.
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"Il me dit 'Tu es belle, j'adore les gros c*ls'"
Dès leurs débuts, Margaux, Fleur Godart, grossiste en vins et volailles spécialisée dans les vins naturels, ou encore Chloé*, vigneronne dans le Sud, ont rapidement été renvoyées à leur genre et discréditées pour cela. "C'était un milieu très codifié, il y avait énormément de bistrots, de cavistes, qui ne me recevaient pas parce que j'étais une meuf", se souvient Fleur Godart, quand Chloé est confrontée à des croyances moyenâgeuses qui permettent d'écarter la concurrence féminine : "Mon tout premier job, je ne pouvais pas rentrer dans la cave parce que les femmes font tourner le vin", rapporte l'intéressée. Pour sa part, Margaux est discréditée en public par son supérieur : "Plusieurs fois, au restaurant, il m'a fait pleurer, en me disant que je ne savais pas parler du vin."
Malheureusement pour elles, leur calvaire ne s'est pas arrêté là. Dans les caves et les arrières-boutiques, lieux de travaux, mais surtout lieux exigus et cachés, elle sont prises à partie par leur supérieurs qui les retiennent après la fermeture, leur font faire des heures supplémentaires, les font boire, leurs font des propositions indécentes, les touchent sans leur consentement. Les violent. Et les trois témoins paraissent être loin d'être des cas isolés : "J'ai reçu de nombreux témoignages d'agressions sexuelles assez graves, et de viols", déclare ainsi Isabelle Perraud, vigneronne et présidente de l'association Paye ton pinard. "Je ne descends plus dans les caves, j'ai une grosse angoisse. Je suis à une soirée, on m'invite à aller choisir un bouteille dans la cave. Le mari dit 'On y va qu'à deux, ça suffit.' Il me dit 'Tu es belle, j'adore les gros c*ls.' (...) Je vois que ça s'agite au niveau du bassin, il se masturbait en me regardant ! J'ai vu le gland, le prépuce, je n'ai pas compris", raconte Chloé.
"Je confronte mon supérieur qui me dit, 'C'était cool hier soir t'as vu, j'embrasse bien !'"
Les agresseurs profitent de la jeunesse et de la fragilité de leur salariées. Lorsqu'elles leur demandent des comptes, se dédouanent en évoquant l'alcool, le contexte festif, les joies de la bonne chère... Célébrés et labellisés "richesses du patrimoine français". "L'alcool est souvent une excuse, alors que c'est un facteur aggravant. Ça va être une excuse pour les hommes alcoolisés qui vont avoir des comportements inappropriés. Et ça va être une excuse pour eux si la femme était alcoolisée en disant 'C'est de sa faute, elle n'avait qu'à faire attention'", analyse Isabelle Perraud.
Fleur Godart, pour sa part, s'est remémorée la fois où elle a accepté d'aller en boîte avec son responsable, à qui elle demande de veiller sur elle. Mais l'homme met de la MDMA dans son verre. La jeune femme n'a aucun souvenir de cette soirée. "Je me réveille le lendemain, je suis chez un type que je ne connais pas", décrit-elle. "Je confronte mon supérieur qui me dit, 'C'était cool hier soir t'as vu, j'embrasse bien !'"
L'affaire Sibard : "Le début de la libération de la parole"
De plus, les hommes mis en cause, parfois influents, bénéficient de la protection d'autres hommes, parfois eux-mêmes puissants, issus du milieu viticole. Leurs pairs masculins dédramatisent, édulcorent les faits, les protègent. Difficile alors de se faire entendre, d'être crue, ou, tout simplement, de durer dans le métier. Face au manque de soutien s'ajoutent les menaces. Pour autant, certaines ont osé dénoncé publiquement leur agresseur, et le poursuivre en justice. Ainsi, avant #MeToo, Marc Sibard, véritable figure dans le milieu du vin naturel, est accusé par plusieurs femmes de harcèlement moral, harcèlement sexuel et agression sexuelle. "Ça a été, pour moi, le début de la libération de la parole. Elles ont été hyper courageuses, parce qu'elles ont été les premières à dénoncer quelque chose et quelqu'un, alors que tout le monde savait ce qu'il se passait là-bas depuis des années", estime Isabelle Perraud.
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Fleur Godart fait partie des victimes de Marc Sibard. Bien qu'elle n'ait pas porté plainte contre lui, elle a témoigné lors d'un son procès, les faits reprochés étant prescrits. "Il se pose dès le début comme une sorte de mentor", indique-t-elle. Très vite, il profite de sa position et reproduit le même comportement avec plusieurs jeunes premières. Une forme de prédation : "On avait toutes le même profil. (...) On avait toutes 20 ans, on était toutes perdues, on avait toutes pas eu de père." Un soir, elle se retrouve seule avec lui après une journée de travail et le découvre en train de se masturber. "Tu me donnes un coup de main ?" lui lance-t-il alors.
Le 6 juillet 2017, la sentence tombe pour Marc Sibard, qui est condamné à un an de prison avec sursis, assorti d’une mise à l’épreuve de 24 mois qui comprend l’obligation de suivis de soins en matière d’alcoolisme, le versement de dommages et intérêts aux parties civiles (montant global 24 000 euros hors frais de justice) et l'acquittement d’une amende de 5 000 euros, précise Les Inrocks, en septembre 2017. Il est démis de ses fonctions et doit être suivi psychologiquement. Une victoire pour les victimes. "Parfois, la justice fonctionne, et ça, il ne faut pas l'oublier", conclut Fleur Godart. Comme un avertissement.
*Le prénom a été modifié.
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