Mères et alcooliques, elles boivent pour oublier la charge mentale : "J’ai fait une dépression post-partum, c'était violent, donc je compensais en picolant le soir"

Encore aujourd'hui, on associe trop souvent l'alcoolisme à l'image d'un homme, accoudé au comptoir d'un bar. Pourtant, cette addiction n'a pas de genre, ni de classe sociale. Ainsi, il y a quelques temps, Kim Kardashian a confié en interview que sa mère, Kris Jenner, qui a eu 6 enfants, lui avait avoué qu'elle prenait une vodka tous les jours à 17h, tout en s'occupant de sa progéniture. C'est loin d'être un cas isolé. Surmenées, en dépression post-partum ou simplement un peu perdues, de nombreuses mères de famille craquent après avoir mis au monde leurs enfants et voient dans l'alcool leur salut. Yahoo a donné la parole à celles qui ont tout fait pour s'en sortir.

An alcoholic mother and her abandoned daughter, a metaphor for the harm of addiction for family members.
Mères et alcooliques, elles boivent pour oublier la charge mentale : "J’ai fait une dépression post-partum, c'était violent, donc je compensais en picolant le soir". Photo : Getty Creative

Pour beaucoup, l'arrivée d'un enfant est synonyme de félicité, de réussite, voire d'accomplissement. La présence d'un nouveau-né dans une famille, lorsqu'il est désiré, doit être une joie et une nouvelle aventure enthousiasmante... Sur le papier. Car depuis quelques années, la parole des mères s'est déliée, notamment concernant le post-partum, cette période de bouleversements physiques et psychologiques qui survient après la grossesse chez les femmes. Ces dernières sont de plus en plus nombreuses à révéler avoir souffert de dépression et d'isolement durant ce moment charnière de leur vie. Une enquête de Santé Publique France publiée ce mardi 19 septembre établit ainsi qu'en 2021, "près d'une femme sur six présentait des symptômes de dépression du post-partum à deux mois post-partum, un peu plus d’un quart des femmes avaient des manifestations anxieuses et un peu plus d’une femme sur 20 déclarait avoir des idées suicidaires."

Travailler, rester désirable, tenir un foyer et maintenant s'occuper de leur progéniture : devant cette nouvelle injonction qui s'ajoute à une pile d'autres, certaines ont craqué, pensant que boire "juste un verre" les aiderait à tenir. Mais elles ont plongé, et sont tombées, insidieusement, dans l'alcoolisme.

C'est pourquoi lorsque Kim Kardashian, dans une interview pour Vogue Italia en juin dernier, relaie sans doute l'un des pires conseils qu'on puisse donner à une mère, elle montre également à quel point endosser ce nouveau rôle peut être une tâche quasiment insurmontable pour certaines. Ainsi, la star de télé-réalité, elle-même mère de 4 enfants, a rapporté une conversation avec sa propre mère, Kris Jenner, qui elle en a eu 6. Kim Kardashain a expliqué avoir demandé à sa mère comment elle avait pu tous les éduquer, avec son frère et ses soeurs. "Pourquoi croyez-vous que je prenais ma vodka à 17h heures tous les jours ?", lui aurait alors répondu Kris Jenner. S'il s'agit peut-être d'une plaisanterie de mauvais goût, elle est bien révélatrice de la difficulté que l'éducation des enfants peut représenter lorsqu'elle vient bouleverser le quotidien.

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"Il y avait le boulot, la petite, j'avais envie de décompresser"

Ce bouleversement, Christine*, 66 ans, l'a connu. Il s'est de plus accompagné d'un changement de domicile et d'un arrêt du travail. Déjà mère d'un enfant, elle donne naissance à sa seconde fille et déménage en même temps. Elle décide de se consacrer à l'éducation de sa progéniture, croyant y trouver son épanouissement, mais tombe rapidement des nues : "J'ai pris une disponibilité par rapport à mon travail à la naissance de ma deuxième fille. Je voyais ça plutôt d’un bon œil, je me suis dit que ça allait me faire une petite pause... Ça ne s’est pas du tout passé comme ça. Je me suis retrouvée dans un engrenage de maman, avec les deux petites. Tout ce que j’avais projeté, je n’avais pas trop de place pour le réaliser."

Petit à petit, la situation se dégrade, et Christine s'isole, culpabilise dans son coin : "Il y a un espèce de mal-être qui s’est installé progressivement. Je n’arrivais à en parler à personne, je ne me voyais pas dire à mes amies 'Je m’*mmerde avec mes enfants'." Jusqu'au moment où elle pense à boire : "Un jour qui n'était pas fait comme un autre, j'ai bu un Martini à 3 ou 4 heures de l’après-midi. J’ai bu un verre, un seul, et ça a été vraiment la 'rencontre magique'. Plus de cafard, tout était parfait." Elle ne retrouvera malheureusement jamais cet état de grâce, et tombe dans l'alcoolisme en continuant à le chercher désespérément. "Ma consommation a très vite augmenté. En deux mois, la situation est devenue très difficile. J'avais du mal à m'occuper des enfants, je n'étais pas une mère responsable."

Un récit qui fait écho à celui d'Angèle*, 64 ans, qui a pris un temps partiel à la naissance de sa première fille, et a vite déchanté : "Il y avait le boulot, la petite, et pas beaucoup d'échappatoire, j’avais envie de décompresser", se souvient-elle. Elle aussi garde sa culpabilité pour elle, se disant "ce n'est pas possible, je ne suis pas une bonne mère, je ne peux pas penser des choses pareilles." Elle aussi, "en pleine journée", a "ce réflexe d'aller dans le bar, d’attraper une bouteille et de boire une gorgée." Un "réflexe" qui signe le début d'années de dépendance, dont il est difficile de se sortir, tant le silence et la honte pèsent sur ces mères qui devraient trouver leur bonheur dans le fait d'avoir des enfants.

"Je l'ai fait tomber dans les escaliers, j'ai failli le tuer"

L'alcoolisme, s'il peut être un temps accompagné de déni, ne retire pas tout discernement. Ainsi, Claire*, 50 ans, se souvient de comportements anormaux qu'elle a pu avoir avec ses enfants, pour lesquels elle nourrit des remords encore aujourd'hui. "J'ai fait des tas de choses que j’ai regretté, je les ai conduits à des activités en fin de journée sous alcool, ça m’est arrivé de rentrer de fêtes avec eux alors que j’avais beaucoup bu, en pleine nuit… C'était extrêmement dangereux. J'ai été agressive avec mon fils, c’est quelque chose de très difficile à gérer aujourd’hui, niveau culpabilité. Ma fille avait tout le temps peur de mes réactions dans la rue. Elle avait peur que je m’énerve."

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Maya* 47 ans, était elle déjà suivie en addictologie depuis l'âge de 20 ans lorsqu'elle a appris qu'elle attendait un enfant. "Je suis tombée enceinte à 33 ans. Là, mon addictologue m’a clairement dit 'si vous buvez pendant votre grossesse, il y aura de lourdes conséquences.' C’est venu naturellement, je me suis dit : 'Maintenant je ne bois plus.'" Mais, ayant développé une maladie grave, elle doit accoucher à six mois de grossesse. Son fils, grand prématuré, doit rester plusieurs mois à l'hôpital. "Je suis rentrée à la maison sans bébé. Là, j’ai fait une dépression post-partum. Quand on m'a appelée pour me dire de venir le chercher, ça a été hyper brutal. Je suis rentrée à la maison avec le bébé, je me demandais ce que je foutais là. Il pleurait beaucoup, j’étais fatiguée. Ma mère m’a beaucoup aidée à cette période-là. Je lui disais 'Viens parce que je vais le balancer par la fenêtre.' C'était violent, et toute cette violence qu’il y avait en moi, je la compensais en picolant le soir."

D'autant plus que Maya ne peut pas compter sur son conjoint, lui aussi alcoolique, mais aussi violent, qui ne l'épaule pas au quotidien. Comme Claire, elle fait alors courir des dangers à son fils, dont elle a conscience aujourd'hui. "Des 0 aux 3, 4 ans de mon fils, j’ai vraiment été une mauvaise mère. Le soir, j’étais trop bourrée pour lui changer la couche, je le laissais comme ça. Mon conjoint ne le changeait pas pour autant, il le laissait dans sa m*rde. J'ai failli le tuer, je l'ai fait tomber dans les escaliers…"

"Dès qu’elle voyait de l'alcool à la maison, ma fille vidait les bouteilles"

S'ils n'ont sans doute pas de souvenir de leurs premières années, les enfants grandissent et finissent par prendre conscience de leur environnement. Ainsi, les filles de Stéphanie*, 49 ans, des jumelles âgées de 18 ans aujourd'hui, la poussent à se rendre aux réunions des Alcooliques Anonymes (AA)*, qui ont également aidé Christine, Maya, Claire et Angèle à rester abstinentes depuis des années maintenant. "Mes filles, en grandissant, ont compris", raconte Stéphanie. "Déjà il y avait l'odeur de l'alcool, je n’avais pas le même comportement. On en a parlé, elles m’ont dit que je pouvais m'énerver, menacer quand j’avais bu… Ma fille, dès qu’elle voyait de l'alcool à la maison, vidait les bouteilles, ce n'était pas son rôle. Le soir quand elles rentraient, mes filles me regardaient dans les yeux pour voir si je n’avais pas consommé. Elles me motivent à aller aux AA."

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Le fils de Maya, désormais adolescent, a quant à lui développé une forme de vigilance aigüe : "Il surveille. Par exemple, pendant une réunion familiale, j’ai pris une petite cuillère qui avait servi à mélanger du mojito pour la mettre dans mon jus de tomate. Mon fils a jeté le jus de tomate, il m’a dit 'Tu n'as pas le droit de boire de l’alcool !' C’était le seul à l’avoir vu", se remémore la quadragénaire.

Pour sa part, Angèle a dû avoir des discussions délicates avec ses enfants, lorsqu'ils ont compris la dépendance de leur mère et qu'il a fallu aborder le sujet. "Ma fille m’a demandé beaucoup d’explications, elle m’a dit 'Maman j’ai besoin de comprendre parce que je ne veux pas finir comme toi.' Mon fils m'a demandé 'Maman, c'était comment quand j’ai commencé à marcher ?' Je lui ai répondu 'Mon chéri, je ne peux pas te le dire, je n’étais pas là.' J’ai perdu des morceaux de leur enfance, il a fallu que je fasse la paix avec ça." La mère de famille a entrepris une thérapie, accompagnée d'une présence assidue aux réunions des Alcooliques Anonymes, association dans laquelle elle s'est beaucoup investie et qu'elle n'a jamais quittée, malgré ses 20 ans d'abstinence : "J'ai fait de cette défaite quelque chose de positif. Je n’ai plus de honte du tout, je sais que l'alcoolisme est une maladie et que je n'ai pas fait exprès de l’attraper. Aujourd’hui je vais mieux, le fait d’avoir rejoint les AA et d’avoir trouvé une philosophie de vie, pour moi c’est du positif. C'est mon parcours et il a fait partie de ma construction de vie."

*Les prénoms ont été modifiés.

*Les Alcooliques Anonymes (AA) est une association qui a pour but d'aider des personnes souffrant d'alcoolisme à se rétablir, notamment via le biais de réunions. Pour plus de renseignements, vous pouvez contacter son site internet : alcooliques-anonymes.fr.

Vous pouvez également contacter le 09 69 39 40 20 pour accéder à une permanence rapidement.

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