Arrêts à la demande dans les bus de nuit, la fausse bonne idée ? "Il a profité du court trajet pour me suivre chez moi"

La mesure a pour but d'apporter davantage de sécurité aux usagers, et en particulier aux femmes. Depuis quelques jours à Paris, l'arrêt à la demande est possible dans les bus de nuit. Le système existe dans d'autres villes de France. Est-il vraiment un gage de sécurité ? Sur certains aspects, la réponse est oui. Mais comme toujours, il y a également des désagréments qui peuvent mettre en péril les femmes.

Woman waiting for the night bus
Arrêts à la demande dans les bus de nuit, la fausse bonne idée ? "Il a profité du court trajet pour me suivre chez moi". Photo : Getty Creative

Expérimentée en banlieue parisienne depuis 2018, la descente à la demande entre deux arrêts de bus est désormais généralisée à tout Paris, après 22 heures et jusqu'au petit matin. Dans les colonnes du Parisien, la présidente d'Ile-de-France Mobilités (IDFM), Valérie Pécresse s'est félicitée de cette nouvelle possibilité mise en place par la RATP : "C'est une bonne nouvelle pour la sécurité, notamment celle des femmes", a-t-elle affirmé. Le système existe déjà dans plusieurs villes de France, et, contrairement aux inquiétudes de certains, cela ne nuit pas au reste des passagers. "On se rend compte qu’il n’y a pas eu d’abus sur ce service-là et ça touche assez peu à notre vitesse commerciale et à la performance du réseau", a confirmé Yoan José, responsable régulation Keolis Bordeaux au micro de francetvinfo.

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"Moins de distance, c'est moins de temps à regarder derrière son épaule"

Toutes les femmes le savent : se déplacer dans la rue n'est pas toujours facile, en raison du harcèlement sexuel constant dont ces dernières sont victimes. Mais la nuit, avec moins de monde et moins de visibilité, il est encore plus facile de se sentir en danger. "L'arrêt de bus le plus proche de chez moi est à 900 mètres, alors que le bus passe littéralement à 50 mètres de ma porte d'entrée", commente Justine, 23 ans. "Pour moi, ce système, ça veut dire non seulement que je rentre chez moi plus vite, mais que je suis moins exposée aux tentatives d'agression, ou même simplement aux commentaires des mecs qui traînent la nuit dans la rue."

Résidant à proximité de l'une des lignes concernée par le test, en banlieue parisienne, Maria a eu l'occasion d'expérimenter ce service en avant-première, et elle fait désormais partie de ses adeptes. "Quand on arrive près de chez moi, je vais simplement voir le chauffeur, je lui demande s'il peut me déposer vers telle zone, et c'est tout. Pour moi, ça veut dire moins de distance à parcourir, et surtout, moins de temps passé à regarder par-dessus mon épaule pour vérifier que je ne suis pas suivie."

Précision utile, les descentes n'ont pas lieu n'importe où pour autant, comme le précise le site Île-de-France Mobilités : "L'arrêt demandé doit se trouver sur l'itinéraire de la ligne. Et pour le point de descente exact, c'est le conducteur qui décidera ! Bien sûr, au plus près de votre destination, mais aussi bien éclairé, avec une bonne visibilité et un cheminement piéton à proximité."

"J'y ai peut-être gagné un faux sentiment de sécurité"

Bien sûr, le fait de passer moins de temps dans la rue en pleine nuit est une aubaine pour réduire les risques d'agressions. Mais certaines personnes, à l'instar de Léa, ne comptent pas utiliser ce service pour autant. "Je suis peut-être parano, mais pour moi, une distance plus courte, c'est moins de temps pour semer quelqu'un qui pourrait me suivre, moins de possibilité de faire un détour pour m'assurer qu'il n'y a personne derrière moi", s'inquiète la Parisienne âgée de 37 ans. "J'aurais aussi peur que quelqu'un s'en serve pour repérer où je vis : mon bâtiment n'est pas sécurisé, la porte d'entrée ne se verrouille pas une fois sur deux et comme je transporte souvent des instruments coûteux, je sais que j'ai le genre de profil facilement ciblé par les cambrioleurs, puisque j'ai été cambriolée deux fois par le passé.

Léa n'est pas la seule à émettre des inquiétudes légitimes. Charline, 24 ans, a elle aussi bénéficié de ce système à la demande en banlieue parisienne. "Les premières fois, j'ai trouvé ça génial. C'est vrai que c'est pratique, mais j'y ai peut-être gagné un faux sentiment de sécurité, je ne sais pas...", hésite-t-elle. "Un soir, j'ai remarqué qu'un mec me regardait bizarrement, mais dans les Noctilien, c'est monnaie courante. Je suis descendue entre deux arrêts, comme d'habitude, je me suis dirigée vers mon appartement, et au moment de fermer la porte du hall d'entrée, il l'a bloquée avec son pied avant de me la renvoyer dans la figure." Sonnée, la jeune femme n'a même pas tenté de se diriger vers son appartement. "J'habite au 4ème, je savais qu'il allait me rattraper dans les escaliers. Le hall résonne, donc j'ai préféré crier." Un bon réflexe, puisque plusieurs habitants sont rapidement sortis de chez eux pour lui venir en aide. "C'est simplement quand j'ai repris mes esprits que j'ai reconnu l'homme du bus. Je ne sais pas si son intention était de me voler, de me violer ou pire, mais ce qui est sûr, c'est qu'il a profité du court trajet pour me suivre jusque chez moi sans que je me méfie."

Violences sexuelles dans les transports en commun : des chiffres édifiants

Charline a échappé au pire, mais chaque année, des milliers de femmes en France n'ont pas cette chance. Selon une note de la Sûreté régionale des Transports de la préfecture de police de Paris, dévoilée par nos confrères du Parisien le 31 août 2023, 57 000 plaintes pour violences sexuelles ont été enregistrées en 2020 par les services de police et de gendarmerie, juste pour l'île de France. Soit plus de 150 plaintes par jour.

Pour éviter les problèmes, les femmes n'hésitent pas à modifier leur tenue – baskets, pantalons, "chemise de métro" popularisée sur TikTok –, voire renoncent aux transports en commun pour favoriser les VTC, même si des agressions ont également été recensées dans ce type de transport. Le problème tient davantage de l'impunité concernant les violences faites aux femmes. Selon la note de la Sûreté régionale des Transports de la préfecture de police de Paris, la très grande majorité des victimes ne porte pas plainte, et quand c'est le cas, les condamnations sont rares. En 2023, seuls 125 suspects ont été arrêtés et placés en garde à vue, 9 ont été incarcérés.

Vidéo. "Les policiers vont demander : "À quel moment vous lui avez dit d’arrêter ? Est-ce qu’il a compris qu’il devait arrêter ?""

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