"Comme il n’avait pas son joint, il a remplacé la drogue avec moi", conjointes d'addicts, elles se livrent sur ce statut encore trop souvent invisibilisé
En 2020 en France, Santé Publique France établissait qu'environ 10% d'adultes consommaient quotidiennement de l'alcool. En 2021, les Français seraient environ 1,7 % à consommer du cannabis tous les jours, selon l'Observatoire français des drogues et des tendances addictives. Des habitudes qui peuvent mener vers l'addiction, dont les conséquences n'impactent pas seulement la santé des consommateurs. Car les personnes dépendantes ne sont pas nécessairement isolées. Leur combat contre l'addiction, elles le mènent parfois avec leur entourage, et surtout avec leurs conjoint.e.s. Aidant.e.s parfois malgré eux et elles, Yahoo a choisi de leur donner la parole.
Il y a quelques temps, alors que le grand public se réjouissait du couple formé par Jennifer Lopez et Ben Affleck, qui après des années de séparation, des mariages et des enfants respectifs, s'étaient rabibochés pour le plus grand bonheur de leurs fans, une ombre est venue ternir le tableau de cette idylle...
"Pourquoi ne pas respecter la sobriété de votre mari ?"
Ainsi, Jennifer Lopez a partagé dans une vidéo postée sur Instagram sa joie d'accueillir des proches, de faire la fête et de boire quelques cocktails à cette occasion, en profitant pour promouvoir sa propre marque d'alcool, Delola. "Je suis sur le point de me faufiler pour aller chercher du Delola. (...) Je vais aller au magasin en acheter, j'espère qu'ils l'ont là-bas. (...) Pendant longtemps, je n'ai pas bu. Il y a quelques années, comme vous le verrez sur plusieurs photos de moi au cours des 10, peut-être 15 dernières années, j'ai pris un cocktail occasionnel. J'apprécie le cocktail occasionnel. Je bois de façon responsable, je ne bois pas pour me faire ni****. Je bois pour être sociable, passer un bon moment et juste me détendre et me lâcher un peu, mais toujours de manière responsable" a-t-elle expliqué.
Il n'en fallait pas plus pour déchaîner un flot de critiques en ligne. En cause, le fait que l'interprète de "Jenny from the block", tienne ces propos alors que son compagnon, Ben Affleck, a eu des problèmes notoires d'addiction à la boisson... "Je suis juste confuse qu'elle parle d'alcool et de cocktails alors que son mari est alcoolique. Cela n'a aucun sens et je trouve cela très difficile à comprendre", "Pourquoi ne pas respecter la sobriété de votre mari ?", ont notamment écrit certains internautes. Jennifer Lopez s'est donc retrouvée épinglée parce qu'elle a désormais un statut de "compagne de personne addict (ou anciennement addict)" aux yeux du grand public...
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"Si elle n'avait pas été là..."
Récemment, l'acteur Gérard Klein a lui aussi évoqué la thématique de l'alcool. Il a en effet tenu à rendre hommage à sa femme, qui l'a beaucoup épaulé dans son combat. Dans une interview accordée à Purepeople, le 31 juillet dernier, le comédien, qui a également été animateur, a confié : "Quand je faisais de la radio, c'est vrai qu'avec les potes on buvait des canons, on rigolait bêtement, c'était convivial mais on ne peut pas faire ça toute sa vie. Et quand on s'est rencontrés, on était tranquilles et du coup l'entourage peut changer. Et puis après, vous avez une femme qui tombe enceinte, on a un enfant et ça change la vie. C'est vraiment bien. Si elle n'avait pas été là... Je ne sais pas", s'est-il ému.
Si l'on parle de plus en plus des personnes dépendantes, notamment à l'alcool ou la drogue, et qu'on déploie davantage de campagnes de prévention à ce sujet, qu'en est-il de celles et ceux qui vivent avec elles ? Qu'ils choisissent ou non de prendre le rôle d'aidant.e dans le couple, les compagnons et compagnes d'addicts sont eux aussi mis à rude épreuve et soumis au jugement de leurs proches et de la société. Comment accompagner sans étouffer, ne passer ni pour la-petite-copine-ch*ante ni pour le petit-copain-trop-laxiste ? Ces questions, Yahoo a voulu les poser à ceux et celles qui tentent d'y répondre au quotidien.
"Il mettait des bouteilles de Whisky dans le coffre de sa voiture"
"Son alcoolisme, je l'ai appris par hasard. Quand je m’en suis aperçue, il y avait bien cinq ans d’alcoolisation. Je pense qu'il faisait attention, il se contrôlait", débute Sylviane*, 70 ans. "Je ne connaissais pas le problème de l’alcool étant jeune", poursuit-elle. Elle finit pourtant par remarquer des choses étranges dans le comportement de son mari, Jean* : "Intellectuellement, il n’y avait pas de réaction, pas de projets, des conversations décousues… Des choses curieuses. Puis, j’ai découvert des bouteilles de Whisky. Je lui ai demandé ce qu'il se passait, j'ai pensé qu'il avait un problème. Bien sûr, il a nié. Et puis à un moment donné, je le voyais souvent sortir, aller à sa voiture, parce qu’il mettait des bouteilles de Whisky dans le coffre."
Désemparée, Sylviane pose un ultimatum à son mari : "Je lui ai dit 'si tu continues, c'est moi ou la bouteille'. Mais avant de te quitter on va peut-être aller voir un médecin." Le couple se rend chez son médecin traitant, mais Jean reste dans le déni. "C'est seulement quand je l'ai quitté qu'il a réalisé", assure la septuagénaire, qui a choisi de se préserver. "Si je continuais à mentir avec lui, ça n’allait pas l’aider. Je me disais, 'il faut que je le quitte, sinon c'est moi qui vais en mourir. Il faut que je le quitte, il faut que je me sauve, moi.' J'avais très peur de le quitter parce que je me demandais comment j'allais faire pour élever les enfants seule, mais je déprimais sérieusement. Je pleurais, je cherchais ce que je pouvais faire, je ne trouvais pas…"
"Tu es sa copine, tu es obligée d’être là pour lui"
La décision difficile de quitter son compagnon, Marion* l'a prise également, tout en posant elle aussi un ultimatum à son petit ami alcoolique, également dans le déni. "Je lui ai dit qu'il devait participer aux réunions des Alcooliques Anonymes (AA) (une organisation d'entraide mondiale afin d'aider des personnes ayant un problème avec l'alcool; ndlr). Cela a pris trois ans, mais il a finalement accepté parce que j'ai demandé à un médecin généraliste de venir à notre appartement et de lui parler. Il s'est montré très patient et compréhensif, expliquant qu'il n'avait pas à avoir honte, qu'il était malade."
Quant à Lola*, 28 ans, en couple avec Naël, ancien addict au cannabis, elle l'admet volontiers : quand ils ont traversé une période de crise, pendant laquelle le jeune homme tentait d'arrêter de fumer quotidiennement, elle a pensé le quitter. "On se disputait tout le temps parce qu’en fait, comme il n’avait pas son joint, il a remplacé la drogue avec moi. À ce moment-là, tu es sa copine, tu es obligée d'être là pour lui. Mais c'était très dur, il y avait beaucoup de moments où je craquais, je lui disais 'fume un ou deux joints par jour, moi je préfère ça plutôt que d’avoir un mec hypersensible et hyper énervé vingt-quatre heures sur vingt-quatre.' On est passés par énormément de phases différentes, où on s'énervait beaucoup, où on doutait beaucoup."
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Pendant cette période, la jeune femme est rongée par la culpabilité et craint qu'une rupture replonge Naël dans la drogue : "Quand je me posais la question de le quitter, je me disais 'mais si je le quitte, comment il va faire, parce qu’il est trop malheureux sans moi.' Je suis sa seule source de bonheur et il ne le cache même pas, ce n’est pas avoir un ego surdimensionné, c’est lui qui me le dit. La pression, c'est évident que je l'ai eue."
"Je ne suis pas sa mère"
De fait, les conjoint.e.s d'addicts sont souvent jugés par leur entourage, désignés "responsables" de la guérison ou de la rechute de leur compagnon ou compagne. Une position difficile à assumer, qui conduit souvent à la honte et à l'isolement : Marion comme Lola ont décidé de ne pas parler de la situation à leur famille. Sylviane a pour sa part "coupé les ponts" avec ses amis de l'époque.
"J'ai caché le problème de mon copain à mes amis et à ma famille, surtout à mon père. Ils sont très critiques, sauf ma mère", raconte Marion. Pour autant, cela ne l'a pas empêchée d'entendre des phrases désobligeantes. "Sa mère me critiquait en me disant qu'il fallait que je fasse ceci et cela, alors que je faisais déjà tout ce qui était possible. Elle était spécialiste (endocrinologue) et était un peu arrogante. Ses amis des AA disaient, eux, que j'en faisais trop pour lui et que j'étais "accro aux soins"."
Lola doit elle aussi se heurter à des remarques blessantes de la part de sa belle-mère : "Un jour, j’étais chez lui et sa mère a pété un plomb parce qu’il a fumé à un moment où il n’aurait pas dû fumer, et elle m’a prise en grippe. Ça a été un moment difficile. Son discours c’est 'pourquoi tu le laisses faire ?' Moi, je me disais, 'oui, mais moi je ne suis pas sa mère'."
Pour Sylviane, le jugement va venir de sa propre famille. "J'ai reçu des remarques très désobligeantes de mon père. Il m'a dit 's'il boit, c'est qu'il a de bonnes raisons, un homme ne boit pas sans raison.' Je n’ai pas répondu à l’époque. Je ne savais pas quoi répondre et puis je me disais 'après tout peut-être que mon père a raison, peut-être qu’il boit à cause de moi…' Je n’étais pas en mesure de dire quoi que ce soit à ce père lui-même marqué par une histoire d’alcool avec son propre père, que j’ai découverte bien après..."
"Les gens doivent pouvoir dire ce que ça leur fait vivre"
Les conjoint.e.s n'ont évidemment pas à porter le poids de l'addiction sur leurs seules épaules. Ils peuvent se tourner vers des professionnels de santé, indique ainsi Stéphanie Ladel, addictologue. "Les gens n'ont pas forcément envie que cette étiquette suffise à les résumer. C'est plus simple d’être femme de préfet que femme d'alcoolique. On n'est pas obligé de souffrir, il y a des choses qui peuvent être partagées. Il y a des professionnels qui sont capables d'entendre certaines choses. Les gens doivent pouvoir dire ce que ça leur fait vivre, en quoi ça les abîme, en quoi ça les rend moins loyaux ou au contraire préoccupés à outrance au détriment de plein d’autres sphères de leur vie. Il y a des gens qui se retrouvent dans un tunnel de préoccupations à cause de leur conjoint, et ça, ça peut être porté à plusieurs et avec des professionnels (addictologues, psychologue, thérapeute familial…) pourquoi pas. Ça dépend quel genre de réponse on recherche. Parfois, on peut monter toute une équipe de différents professionnels autour d’un patient."
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Des sollicitations qui portent leurs fruits : si Marion n'est plus en couple, elle est restée très proche de son ex dépendant à l'alcool, de qui elle est maintenant l'une des meilleures amies et qu'elle a épaulé dans sa lutte. "Je l'ai accompagné à ses réunions aux Alcooliques Anonymes (j'attendais dans un café et je faisais du crochet). J'ai aussi rencontré ses amis après les réunions. Mon ami est sobre depuis décembre 2018, je suis donc extrêmement fière de lui !"
Sylviane aussi ne tarit pas d'éloges sur l'efficacité de tels groupes de soutien. "Quand je l'ai quitté, Jean a pris contact avec une addictologue et est rentré en cure pendant plus d'un mois", rapporte-t-elle. "Il a posé la bouteille et il a rejoint les Alcooliques Anonymes. Et c’est grâce à cela, on peut le dire, qu’il a arrêté de boire. Si d'autres y arrivaient, il pouvait y arriver aussi. Il milite désormais au sein des Alcooliques Anonymes." Depuis, Jean et Sylviane se sont remis ensemble. Jean est abstinent depuis 25 ans, et n'a plus honte de refuser un verre : "Quand on est quelque part, il a pris l'habitude de dire qu'il a bu pour le restant de sa vie."
*Les prénoms ont été modifiés.
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