Le papillomavirus, une IST sous-estimée ? "On m'a enlevé le col de l'utérus, une partie du vagin, l’utérus et les trompes"
Depuis le 2 octobre, avec l'autorisation de leur deux parents, tous les collégiens de 5e, filles comme garçons, peuvent se faire vacciner contre le papillomavirus au sein de leur collège, dans le cadre d'une grande campagne de vaccination lancée dans tout l'Hexagone. Cette campagne vise à prévenir contre le cancer du col de l'utérus, les cancers ORL, mais aussi ceux de l'anus et du pénis, qui peuvent subvenir suite à une infection au papillomavirus, une IST dont le préservatif n'empêche pas à 100% sa transmission et qui touche 80% de la population au cours de sa vie. Cependant, la vaccination des jeunes est encore assez timide, et les adultes ignorent bien souvent qu'ils peuvent y avoir eux aussi accès après leur premier rapport sexuel. Yahoo a interrogé des femmes qui ont rencontré des complications après avoir contracté le HPV. Elles regrettent un manque d'information.
Fortement recommandé auprès des jeunes filles vierges depuis 2007, le vaccin contre le papillomavirus est désormais également conseillé aux garçons, porteurs de cette IST, qui concerne 80% de la population, dont le préservatif n'empêche pas à 100% sa transmission. Outre le fait qu'ils peuvent transmettre le virus aux filles durant un rapport sexuel, oral ou vaginal, les garçons peuvent également le contracter.
"Les papillomavirus sont des virus cutanéo-muqueux, il y en a à peu près 200. Sur les 200, il y en a environ 180 qui ne posent pas de problème. Sur les 20 restants, il y en a 2 qui vont donner des verrues sur la peau, et au niveau génital. Ce sont les condylomes, le HPV-6 et le HPV-11. Ce n'est pas méchant, ça ne devient pas des cancers, mais ça peut proliférer et devenir particulièrement disgracieux. Et ça, ça touche les hommes comme les femmes", explique Samuel Salama, gynécologue à Neuilly-sur-Seine, en région parisienne.
La forme oncogène du virus, c'est-à-dire celle susceptible de provoquer des cancers, peut elle notamment déclencher ceux du col de l'utérus, mais aussi des cancers de la sphère ORL, de l’anus et du pénis. "Les HPV-16 et 18, les plus "méchants" peuvent entraîner, à terme, des anomalies au niveau du col de l'utérus, qui, si elles ne sont pas traitées, peuvent devenir des cancers. Le cancer du col de l'utérus est le plus fréquent. On dénombre 3000 cas par an. Quand on se vaccine, ça ne dispense pas de la surveillance, mais on va avoir dix fois moins de frottis pathologiques. Mais il y en a d'autres, comme les cancers de la vulve et du vagin chez la femme, de l'anus, et des cancers ORL, qui peuvent être transmis par des rapports oraux-génitaux, des pratiques qui sont bien plus en vogue qu'il y a 70 ans. Il y a des papillomavirus qui se mettent au niveau de la gorge, qui peuvent entraîner des anomalies, qui deviennent des cancers" ajoute le professionnel de santé.
"En vaccinant les garçons, on continue de protéger les femmes, et deuxièmement, la moitié des cancers concerne aussi les garçons, donc c'est par souci d'équité. C'est pour qu'à 40 ans, un homme, atteint d'un cancer ORL, ne dise pas 'p*tain, c'est dégueulasse, j'aurais pu en bénéficier'", insiste-t-il.
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"C'était très désagréable et hyper douloureux"
Or, dans l'Hexagone, la couverture vaccinale reste très faible : ainsi, seulement 45,8% des jeunes filles de 15 ans et à peine 6% des garçons du même âge avaient reçu au moins une dose de vaccin fin 2021, indique l'Inserm.
C'est pourquoi, depuis le 2 octobre, une campagne de vaccination a été lancée dans les collèges français, pour protéger au maximum les adolescents contre le papillomavirus et ses conséquences, qui peuvent être graves. Nathalie, 37 ans, l'a expérimenté. Lorsqu'elle réalise un frottis par précaution avant de se faire opérer pour faire ligaturer ses trompes, cette mère de 5 enfants s'inquiète en recevant un courrier inhabituel. "J'avais fait un frottis sept mois avant, qui était nickel. On a de nouveau fait un frottis, j’ai été opérée 5 jours après. Trois semaines après l’opération, j’ai reçu un papier à la maison, une lettre du service gynécologique de l’hôpital me demandant de prendre rendez-vous rapidement pour une colposcopie, sans me dire dans quel service cela se trouvait. Je ne comprenais pas trop ce qui me tombait sur la tête."
Son frottis est anormal. La colposcopie, qui permet de faire ressortir, grâce à l'usage d'un produit, les lésions pré-cancéreuses au niveau du vagin et du col de l'utérus, devrait permettre d'y voir plus clair. Pour Nathalie, cet acte médical s'accompagne d'une biopsie, qui consiste à prélever des morceaux du col pour pouvoir les analyser ensuite : "Ça a été relativement vite, mais c'était assez douloureux. La biopsie a été très désagréable et hyper douloureuse."
"C'est quand même l’endroit où mes enfants ont baigné pendant neuf mois"
Quelques semaines après, le couperet tombe : "On m'a annoncée que j’avais un HPV 16 (il fait partie des HPV oncogènes; ndlr)". Soucieuse, Nathalie, contacte un hôpital spécialisé dans les cancers, malgré les déclarations de son gynécologue, qui lui conseille de ne pas s'inquiéter. Elle semble avoir bien fait : "J’ai envoyé mon dossier là-bas, ils m’ont répondu directement et fixé un rendez-vous le lendemain." Il s'avère que les lésions pré-cancéreuses détectées vont plus loin que le col de l'utérus. "Vu l’ampleur des lésions, on m’a dit que si je voulais éviter les rayons, la chimiothérapie, dans mon cas il fallait penser à une décision radicale, donc m’enlever le col, une partie du vagin, l’utérus et les trompes."
Nathalie accepte l'opération : "Ils m’ont juste laissé les deux ovaires pour m’éviter une ménopause précoce. Là j’ai réalisé que c’était quand même relativement grave. Parce que si je ne le faisais pas et que j’attendais peut-être encore 6 à 7 mois, là j’aurais été sous rayons chimio, et peut-être avec des traitements encore plus forts. J’avais fait une ligature des trompes, donc j’avais déjà fait le deuil d’avoir un bébé. Mais se faire enlever l’utérus, le col et les trompes à 33 ans, ça reste une intervention qui est très lourde. Ça a été très difficile à digérer, sachant que même si j’avais fait le deuil de cet utérus, c'est quand même l’endroit où mes enfants ont baigné chacun pendant neuf mois. Je ne dirais pas que c’est quelque chose qui définit la féminité chez une femme. C’est quelque qui est assez caché, qui n’est pas visible, psychologiquement ça n’a pas du tout été facile."
"'Est-ce que je ne veux vraiment plus d’enfants ?' Le choix, il t'est un peu enlevé"
Si ça n'a pas été aussi loin pour elle, Carine, 36 ans, décrit aussi une biopsie éprouvante, après avoir découvert qu'elle était porteuse d'un HPV oncogène. "Je suis devenue livide, parce que je venais de perdre ma maman d’un cancer de l’endomètre, du coup je suis un peu partie en vrille. La biopsie, comme toute prestation gynéco, c’est bien hardcore, on endort pas, on prélève quand même des morceaux de ton col à vif. C’est horrible, on prend vraiment des carottes de ton col. C’est une espèce de ponction, on prend à différents endroits pour envoyer à l'analyse. Comme beaucoup de choses en gynéco, il y a plein d’examens qu’on te fait sans anesthésie parce que visiblement c’est normal de souffrir pour nous (les femmes; ndlr). On ne m’avait pas prévenue non plus que j’allais saigner, j’étais en robe, j’ai tâché ma robe…"
La biopsie révèle des cellules précancéreuses dans la carotte prélevée. La trentenaire doit subir une conisation. "On t'enlève un morceau du col, le morceau qui est porteur des cellules pré-cancéreuses. On appelle ça "conisation", parce que la découpe se fait en forme de cône dans les couches de la peau. On m’a enlevé un morceau de trois centimètres sur deux, moi c’était sous anesthésie générale (qui peut être locale ; ndlr)." La décision d'accepter une conisation ne se prend pas à la légère. "Il y a le surrisque pour les grossesses à venir, d'avoir un petit peu plus de fausses couches tardives ou d’accouchements prématurés", indique Samuel Salama.
Carine renchérit : "Si tu souhaites avoir des enfants par la suite, ça peut entraîner des grossesses à risque, ton col de l’utérus peut se rompre, il a été altéré à cause de la brèche causée dedans. Dans ma tête, c’était clair que je ne voulais plus d'enfants (Carine a un fils de 5 ans; ndlr), mais en prenant cette décision et en rendant potentiellement toute future grossesse dangereuse, je me suis dit 'finalement, est-ce que je ne veux vraiment plus d’enfants ?' Le choix, il t'est un peu enlevé."
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"Je suis restée vingt minutes les jambes écartées, une dizaine d'étudiants regardaient"
Finalement, il semble que la conisation n'a servi à rien, Carine est déjà "guérie" : "On s'est rendu compte qu’il n’y avait des cellules précancéreuses que dans la carotte de la biopsie, donc on a enlevé du tissu sain. J'ai refait un frottis du col six mois après, qui était négatif."
Noémie, 33 ans, a elle dû se faire vaporiser le col de l'utérus au laser, une intervention réalisée la plupart du temps sans anesthésie. Elle en garde un souvenir douloureux, teinté de gêne. "Je suis restée à peu près vingt minutes les jambes écartées, il y avait une dizaine d'étudiants qui regardaient... Quand je suis sortie, je suis rentrée chez moi en bus, je me tordais de douleur."
Vaccinées, Noémie, Carine et Nathalie auraient peut-être pu éviter angoisse et douleur. Car, si l'accent est mis sur les adolescents vierges, le vaccin contre le papillomavirus peut désormais être réalisé sur des adultes, même s'ils ont eu leur premier rapport sexuel. S'ils ont eu peu de partenaires sexuels, ou sont actifs sexuellement depuis peu de temps, le vaccin peut vraiment être intéressant, car ils ont moins de chances d'avoir déjà contracté le papillomavirus, ce qui arrive très fréquemment au cours de la vie sexuelle. En effet, le vaccin n'est pas toujours efficace pour les personnes ayant déjà attrapé le papillomavirus.
S'il souhaite recevoir des injections, un adulte devra débourser 135,69 euros par dose, avance un article de Science&Vie paru en novembre 2022, car la vaccination n'est pas remboursée. "Il y aurait un bénéfice pour les gens plus âgés. On est même en train de se poser la question d’aller vacciner des femmes qui ont déjà eu des gros problèmes de col de l’utérus. Mais là, on parle de remboursement de vaccins, donc de santé publique, donc on est en train de parler de coûts. La santé publique réfléchit en balance bénéfice-risque-coût. Il y aurait moins de bénéfices à vacciner une femme de 40 ans qui a déjà eu des rapports sexuels, qui a développé déjà sa propre immunité. Avec une femme chez qui on détecte le HPV et pas de lésions sévères, on joue le temps. 70% des femmes en guérissent en 2 ans", analyse Samuel Salama.
"Plus tard, ils remercieront leurs parents de leur avoir permis de bénéficier de ce vaccin"
Mais encore faut-il être au courant que la vaccination reste possible après le premier rapport sexuel. "Ma gynéco m’a proposé de me faire vacciner. Je suis tombée des nues. Ce que je regrette, c’est vraiment le manque d’information de la part des gynécos. Quand j’en ai parlé à mon entourage, la majorité des femmes adultes que je connais, à moins qu’elles aient eu un souci, ne savaient pas qu’on pouvait être vaccinées plus tard", déplore Carine.
Nathalie abonde et souhaite faire vacciner ses enfants : "Je trouve qu’il est vraiment important d’en parler pour sensibiliser les jeunes à la vaccination. Ils ne vont peut-être pas vraiment voir le positif maintenant de se faire vacciner, mais je pense que plus tard, ils remercieront leurs parents de leur avoir permis de bénéficier de ce vaccin."
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