"Des tenues de prostituées" : des jeunes femmes sont filmées en soirée à leur insu et insultées sur TikTok

Depuis quelques temps, sur TikTok, des vidéos de femmes anglaises marchant dans la rue la nuit sont apparues. Les images de ces femmes confiantes, très apprêtées, en décolleté et minirobe, fascinent autant qu'elles divisent. Parfois filmées à leur insu, ces anglo-saxonnes font l'objet de nombreuses moqueries misogynes.

A young woman
"Des tenues de prostituées " : des jeunes femmes sont filmées en soirée à leur insu et insultées sur TikTok. Photo : Getty Creative

Sur TikTok, elles défilent en grappes. Très sophistiquées, des jeunes femmes marchent en talons, arborant des décolletés plongeants, des ensembles moulants ou des robes courtes. Apprêtées, elles sont maquillées, coiffées, manucurées et souriantes dans les rues anglo-saxonnes. Ce ne sont rien de plus que des jeunes femmes qui passent de bonnes soirées avec leur amies, à Manchester, Londres, ou Liverpool. Pourtant, ces noctambules souvent filmées à leur insu par un compte en particulier, @dinamimi59, suivi par plus de 366 000 personnes, provoquent de vives réactions dans l'espace commentaire des vidéos dans lesquelles elle apparaissent, sur le réseau social chinois.

Pourquoi ? Tout simplement parce que l'aisance de ces anglaises interloque, les femmes comme les hommes. Si de nombreuses utilisatrices s'interrogent sincèrement sur la capacité de ces jeunes femmes à résister au froid de l'Angleterre, d'autres internautes, hommes comme femmes, se permettent de les dénigrer en se basant sur leurs tenues.

"C'est Amsterdam et les filles en vitrine sont sorties manifester"

Ainsi, bon nombre de commentateurs comparent ces jeunes femmes à des prostituées, simplement au vu de leurs vêtements. "Pendant cinq secondes je me suis dit, c'est Amsterdam et les filles en vitrine sont sorties manifester ("les filles dans les vitrines" font référence aux travailleuses du sexe d'Amsterdam, qui apparaissent le soir dans les vitrines du quartier rouge de la ville où la prostitution est légale; ndlr)", écrit ainsi l'un d'eux. "Je suis une femme "féministe" mais ça, ce sont des tenues de prostituée, il y a la liberté mais il y a la décence aussi", abonde une autre. "Il manque des bouts de tissu", "Les papas en sueur", "C'est combien ?", peut-on aussi lire. Un florilège de sexisme, de paternalisme (on se demande si leurs pères on validé leurs tenues), de putophobie, mais également de mise en concurrence des femmes.

La plupart des jeunes femmes sur ses vidéos n'ont pas conscience d'être filmées, et, si c'est le cas, ne savent pas forcément où ces images vont atterrir. En France, selon service-public.fr, filmer ou photographier quelqu'un à son insu dans un lieu privé ou transmettre son image, sans son accord, est sanctionné d'un an d'emprisonnement et de 45 000 € d'amende. Publier la photo ou la vidéo sans l'accord de la personne est sanctionné d'un an d'emprisonnement et de 15 000 € d'amende. Mais en Angleterre, la question du droit à l'image est bien moins encadrée. Peu de chances que les auteurs de ces vidéos soit inquiétés...

"J'étais dans cette vidéo et je n'ai pas vu la caméra. Je trouve cela très étrange", a commenté l'une des jeunes femmes filmées à son insu, qui s'est reconnue dans un des extraits. Ces jeunes femmes, objectifiées et sexualisées ainsi sans leur consentement, sont livrées à n'importe quel utilisateur de TikTok partout dans le monde. Un véritable travail de prédation. Car les vidéos intitulées "(le nom de la ville) vie nocturne", ne montrent de ces "vies nocturnes" en question que des protagonistes féminines, jeunes, jolies et peu vêtues.

"Quelle chance d'être libre et en sécurité"

Ces vidéos et les commentaires qu'ils suscitent pourraient malheureusement déstabiliser les intéressées, qui semblaient jusqu'alors à l'aise dans les rues de leur ville. Jusqu'à présent, les anglaises prenaient de la place sans s'excuser d'exister. Un exploit quand on sait que l'espace public est difficile à appréhender pour les femmes, souvent hostile et peu pensé pour elles : "La ville est faite et pensée par les hommes et la socialisation à la ville est différenciée. (...) À partir d'une certaine heure, soit les femmes ne vont pas sortir, soit elles ne vont pas sortir seules. Elles vont prendre des précautions pour éviter d'être confrontées à des agressions. La crainte du viol en particulier est alimentée par un ensemble de rappels à l'ordre au quotidien, comme le harcèlement dans les lieux publics, qui contribue à l'hyper vigilance et à ce sentiment de peur dans certains contextes, en particulier la nuit", estime Sarah Jean-Jacques, chercheuse en sociologie et géographie sociale, spécialiste des questions de genre et de sexualité, interrogée par Terrafemina.

Vidéo. Journée internationale des droits des femmes : Margaux - "La rue ça peut faire peur avec toutes les agressions et le harcèlement. La "reprendre" dans un un but concret, ça m’a motivée"

Dans les commentaires, d'autres utilisateurs prennent cependant la défense de ces jeunes femmes en saluent leur courage et en enviant la "civilité" des anglais. Si ces jeunes filles peuvent sortir habillées ainsi, c'est selon eux, car elles n'ont pas peur d'être inquiétées : "Quelle chance d'être libre et surtout en sécurité. C'est pas nos Françaises qui pourraient le faire malheureusement", "Pour avoir habité à Dublin où les femmes sont habillées pareil, les seuls hommes qui les emm*rdent sont Français Italiens et Espagnols, les autres ne les regardent même pas", "Cette liberté est ce qui me manque le plus, depuis que j'ai déménagé en France".

Néanmoins, ces images quasiment idylliques de jeunes femmes qui déambulent sans apparement être dérangées ne doivent pas faire oublier la réalité. En effet, l'Angleterre n'est pas exempte du harcèlement de rue : ainsi, une enquête réalisée en 2021 pour UN Women UK a révélé que 86 % des femmes âgées de 18 à 24 ans avaient été victimes de harcèlement sexuel en public.

À lire aussi :

>> Audrey Fleurot "traumatisée" par le harcèlement de rue : "Quand tu es une fille, tu te fais tout le temps agresser"

>> Grosse poitrine et harcèlement : "Les gens touchent mes seins dans la rue comme si ma poitrine faisait partie du domaine public"

>> Caméras cachées dans les hôtels et les Airbnb : "Je me suis sentie violée, c'était traumatisant"