Barbie : comment une blague avortée entre Margot Robbie et Emma MacKey a donné lieu à des commentaires sexistes

Le très attendu "Barbie", de Greta Gerwig, sort dans les salles françaises ce mercredi 19 juillet. Récemment, Margot Robbie, qui incarne le personnage principal, a évoqué sa ressemblance avec Emma MacKey, également au casting. Il n'en fallait pas plus pour déclencher une flopée de commentaires sexistes mettant en concurrence les deux actrices.

Margot Robbie (à gauche) et Emma Mackey (à droite)
Margot Robbie (à gauche) et Emma Mackey (à droite). Photos : JUSTIN TALLIS / AFP - Lia Toby/Getty Images for Warner Bros.

"Emma c'est la version wish, j'en peux plus", "Heureusement pour Emma, elle n'a rien à voir avec Robbie...", "L'une est superbe, l'autre franchement est moche et fait toxico"... Depuis l'annonce du casting de "Barbie" le film de Greta Gerwig dont la sortie en France est prévue pour le 19 juillet, les commentaires de ce genre pullulent sur les réseaux sociaux.

Ils se sont intensifiés depuis que Margot Robbie, le rôle-titre, a expliqué qu'Emma MacKey avait en partie était choisie pour interpréter le personnage de Barbie physicienne, car de nombreux observateurs avaient auparavant constaté une ressemblance entre les deux actrices.

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"Nous nous sommes aperçues que nous ne nous ressemblions pas tant que ça"

"Quand les gens viennent me voir et me disent : 'Je t'ai adorée dans "Sex Education (où Emma MacKey joue le rôle de Maeve, une adolescente rebelle et futée; ndlr)"', je réponds simplement : 'Merci. Merci beaucoup'", avait ainsi plaisanté Margot Robbie lors d'un entretien pour Buzzfeed, au début du mois de juillet. "Cela fait des années que l'on me dit que je ressemble à la fille de Sex Education, Emma Mackey. (...) Elle joue l’une des Barbie du film parce que Greta et moi pensions que ce serait drôle. Nous voulions faire cette blague sur le fait que nous nous ressemblons" a poursuivi l'actrice australienne.

Mais la fameuse blague a finalement était coupée au montage : "Une fois que nous nous sommes déguisées en Barbie, nous nous sommes aperçues que nous ne nous ressemblions pas tant que ça. Elle a les cheveux bruns et moi les cheveux blonds. Nous n'avons donc pas mis cette blague dans le film", a expliqué Margot Robbie.

"C'est sa pâle copie"

Il n'en fallait pas plus pour que les médias reprennent l'information et la relaient sur leurs réseaux sociaux, avec un montage photo des deux actrices illustrant leurs posts. De quoi, évidemment, faire réagir dans l'espace commentaire. Si certains étaient bel et bien persuadés que les deux actrices étaient la même personne et tombent des nues, d'autres sont plus dubitatifs, et même extrêmement critiques. Certains internautes s'en sont ainsi donné à coeur joie, souvent au détriment d'Emma Mackey qualifiée de "version wish", comprendre ici de "contrefaçon", de Margot Robbie : "C'est sa pâle copie, désolée", "Margot Robbie lui met un bon gros 100/0", "Margot lui roule dessus"...

Le film n'étant même pas sorti, pas de doute quant à la compétition qui est en jeu : on ne parle pas des performances d'acting des deux comédiennes, comme on pourrait comparer le jeu d'acteur des différents interprètes de "Spiderman", mais bien de leur physique. Malgré elles, Margot Robbie, en évoquant cette "blague" avortée, et Greta Gerwig, la réalisatrice, ont donné aux "haters", hommes, comme femmes, l'occasion de s'exprimer -ou plutôt de critiquer-, et de mettre en rivalité le physique des deux actrices.

D'où vient la rivalité féminine ?

Comparer les femmes entre elles est un phénomène bien présent dans la société, comme l'a expliqué Marie-Aldine Girard, autrice de "Rivales", à Yahoo : "La rivalité fait écho à autre chose, avec un sentiment d'imposture parfois, toute une éducation et surtout un système dans lequel on grandit. (...) C'est le patriarcat qui nous met en compétition, pour essayer d'attirer le regard et l'attention. Pour être aimable aux yeux des hommes, les femmes sont souvent en rivalité. (...) Être une fille n'est pas quelque chose de négatif, il ne faut plus être complice de misogynie ordinaire. (...) Pourquoi on critique l'apparence d'une fille, qu'est-ce que ça veut dire, qu'est-ce que ça nous fait ressentir ? Il y a toujours quelque chose derrière. On est dans une société ou on a toujours le petit commentaire acerbe, la petite pique."

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Cette valorisation du beau a quasiment toujours existé. Ainsi, des statuettes féminines datant du paléolithique (3 millions-12 000 av. J.-C.), avaient toutes les mêmes caractéristiques : il s'agit de véritables odes à la fertilité, avec des seins, des hanches et des ventres très imposants. Le beau se situait d'abord dans la capacité à donner la vie, et était donc assimilé aux femmes. Si les critères de beauté ont évolué à travers les âges, ils ont toujours pesé plus lourd sur les épaules des femmes, du fait, semble-t-il à l'origine, de leur différence biologique avec les hommes et de la fascination que la maternité pouvait provoquer.

"Des troubles que l'on retrouve plus fréquemment chez les femmes"

Malheureusement, cette attention particulière portée au physique féminin existe encore aujourd'hui. Pire encore, elle semble décuplée : "Les femmes ont beaucoup plus d'injonctions, comme le fait d'être mince, d'avoir un certain type de visage... D'ailleurs il n'y a qu'à se balader un petit peu sur les réseaux sociaux, notamment Instagram ou les magazines de presse écrite pour voir qu'elles sont soumises à des injonctions inatteignables de beauté qui ne correspondent pas à la réalité", constate Johanna Rozenblum, psychologue clinicienne et autrice de "Déconditionnez-vous !" (à paraître le 07 septembre 2023), contactée par nos soins.

Être belle reste une préoccupation pour les femmes, qui peut avoir des conséquences désastreuses : "Cela créé beaucoup de souffrance, comme une perte d'estime de soi, un trouble anxieux, des troubles du comportement alimentaire (d'ailleurs en hausse ces dernières années)... Parfois même de la dysmorphophobie qui peut pousser à des dérives en matière de chirurgie esthétique. Des troubles que l'ont retrouve plus fréquemment chez les femmes, parce que c'est ce qu'on leur a appris, ce qu'elles ont lu dans les médias et malheureusement ce que la société laisse parfois penser."

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"Il ne faut pas sous-estimer l'arrivée des femmes sur le marché du travail"

Si les femmes semblent s'être émancipées dans une bonne partie du monde, en se battant pour leurs droits (elles peuvent voter, avorter, avoir leur propre compte en banque...), elles ne sont pas pour autant complètement libres, puisque toujours soumises à des idéaux de beauté inatteignables et exacerbés par la société de consommation qui les asservit.

Un phénomène étudié par l'essayiste américaine Susan Faludi, qui a identifié un "backlash", un "retour de bâton", survenu dans les années 80, après la deuxième vague de féminisme, qui a fait avancer dans les années 60 la cause des femmes en matière de droits sexuels et reproductifs, ou en ce qui concerne les violences conjugales notamment. Dans son livre "Beauté fatale", Mona Chollet revient sur ses travaux ainsi que sur ceux de Naomi Wolf, autrice de "The Beauty Myth" : "Puisqu'elles avaient échappé aux maternités subies et à l'enfermement domestique, l'ordre social s'est reconstitué spontanément en construisant autour d'elles une prison immatérielle. Les pressions sur leur physique, la surveillance dont celui-ci fait l'objet sont un moyen rêvé de les contenir, de les contrôler. Ces préoccupations leur font perdre un temps, une énergie et un argent considérables; elles les maintiennent dans un état d'insécurité psychique et de subordination qui les empêche de donner la pleine mesure de leurs capacités et de profiter sans restriction d'une liberté chèrement acquise. (...) Il ne faut pas sous-estimer le traumatisme causé par l'arrivée massive des femmes occidentales sur le marché du travail. Les prouesses esthétiques que l'on exige d'elles sont une manière de leur faire payer leur audace, de les remettre à leur place."

"L'imaginaire collectif est trusté par les mecs. Mais on va changer ça"

Comparer le physique de deux femmes, qui plus est afin de déterminer si l'une est plus belle que l'autre, et de lui conférer ainsi plus de "valeur", c'est donc être sexiste, puisqu'on associe encore et toujours les femmes à la beauté.

On devine facilement que la tournure qu'a prise l'évocation de cette plaisanterie basée sur la ressemblance entre Emma MacKey et Margot Robbie n'était absolument pas l'intention de Greta Gerwig, qui se définit d'ailleurs comme "ultra-féministe, militante", dans une interview pour Marie-Claire. "Les artistes ont un désir de changement : elles veulent plus d'histoires, plus de films, plus de récits écrits par des femmes pour les femmes. L'imaginaire collectif est trusté par les mecs. Mais on va changer ça", a déclaré celle qui a fait la part belle aux héroïnes féminines fortes, têtues et complexes dans ses films. Ainsi, on suit Christine, dans "Lady Bird" (2017), une adolescente tête de mule mais attachante, ou encore Jo dans sa version des "Filles du docteur March" (2019), apprentie écrivaine qui s'accroche à son rêve.

Alors, est-ce que cette blague aux conséquences malheureuses va nous empêcher d'aller voir "Barbie" ? Non, d'autant plus qu'après être sortis de la salle, les spectateurs pourront comparer Emma MacKey et Margot Robbie sur autre chose que leur plastique... Même si elles jouent de jolies poupées.

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