TABOU - Ces femmes qui "font peur aux hommes" racontent les dégâts sur leurs vies sentimentales
Ce n'est un scoop pour personne, la société actuelle est encore régie par énormément de codes sexistes basés sur le genre. Ils instaurent des différences entre les hommes et les femmes, souvent au détriment de ces dernières. Salaire, droits, violences... Elles perdent quasiment toujours au profit du genre masculin. Et le champ amoureux hétérosexuel, sans doute le plus normé qui soit, n'échappe donc pas à la règle. Douce, belle, délicate et réservée, la femme parfaite n'existe pas, mais ce modèle cliché semble encore être recherché par beaucoup d'hommes. Pourtant, nombreuses sont celles qui sortent de cette case, accusées de "faire fuir" leurs potentiels prétendants. Des remarques qui ne sont pas sans conséquence sur leur estime d'elles-mêmes.
En promotion pour la pièce "Bungalow 21", qui relate l'histoire d'amitié et de tromperie entre Yves Montand, sa grand-mère Simone Signoret et Marilyn Monroe, Benjamin Castaldi a eu ces mots pour l'actrice Mathilde Seigner, qui incarne Simone Signoret : "C'est une femme qui est très impressionnante généralement, elle fait peur aux hommes. J'ai l'impression oui, à moi pas trop car j'ai l'habitude des femmes fortes, mais je pense que c'est une femme qui met le doute aux hommes. Elle est intelligente, elle est engagée, cultivée...", a-t-il déclaré dans l'émission "Chez Jordan" en septembre 2023.
Cette phrase, qui avait certainement pour but d'être reçue comme un compliment, interpelle. Il y a-t-il vraiment des femmes qui font peur aux hommes ? Dans le cas de Mathilde Seigner, ce seraient son intelligence, son engagement et sa culture, qui effrairaient ces messieurs.
Une femme, en 2023, doit-elle encore s'effacer pour espérer être en couple et entrer dans le moule sexiste attribué à son genre ? Les commentaires de ce type semblent en tout cas toujours être monnaie courante.
Vidéo. "J'ai des réflexions sur le fait que j'ai plus de pecs que de poitrine"
"Je pense que je suis too much "pour une femme""
Leslie*, 27 ans, en a fait les frais. Un homme qu'elle draguait de manière épisodique, avec qui elle parlait fréquemment n'a jamais sauté le pas lorsqu'elle lui a proposé de boire un verre. La jeune femme a décidé de le confronter : "Ce qui me motivait à lui proposer de se voir, c’est qu’il m’avait dit mot pout mot ‘Tu me plais.' Cette année, après plusieurs mois sans contact, je lui ai dit 'Pourquoi ça ne l’a jamais fait entre toi et moi ?' Il m’a répondu : 'Oui c’est vrai tu me plais, mais tu me fais peur.' Il m’a dit que j’étais trop affirmée, que j’étais trop une grande gueule. Mes opinions politiques, notamment sur le féminisme, étaient un peu "extrêmes" et donc, en gros, je n’allais pas "me laisser faire", j’avais un caractère trop bien trempé pour lui."
Leslie est bien consciente du sexisme d'une telle remarque : "Si j’étais un homme, on ne dirait pas que je suis "too much", mais je pense que je suis "too much" "pour une femme" aux yeux de la plupart des gens, parce que j’ai un caractère assez franc. Mais je ne trouve pas que j’écrase les autres non plus."
Malgré cela, la jeune femme admet que ces remarques l'ont touchée : "Ça m’a inquiétée pour le futur, je me suis vraiment remise en question et je me suis dit qu’il fallait peut-être que j’apprenne à fermer ma bouche. Mais, je me suis rendu compte que ce n’était pas ma personnalité." Selon elle, ces réflexions révèlent "un ego fragile et un manque de confiance en soi abyssal. Ce sont des remarques sexistes et misogynes, en fait c’est eux le problème, c’est pas moi."
Une thèse confirmée par Alexandra Vatimbella, thérapeute de couple. "Ces réflexions ressemblent plus à des critiques qui parlent de la personne qui est en train de la donner, plutôt que de celle qui est visée. Quand on dit ce genre de phrases à quelqu'un, je ne pense pas que ce soit de la bienveillance, mais une critique, révélatrice sur celui qui la donne. Ces remarques-là font du mal, et les personnes qui pensent les dire par bienveillance feraient mieux de réfléchir à pourquoi elles le disent."
"Je ne suis pas celle qu’on va forcément avoir envie de draguer"
Tout comme Leslie, Emma*, 23 ans, admet que son côté "grande gueule" a pu lui jouer des tours. "L’image hyper patriarcale de notre société fait qu’une nana doit être douce, calme, un peu réservée. Alors que moi, je prends de la place… Je suis assez à l’aise avec les mecs, je n’ai pas peur de leur parler, ni du ridicule, de faire la c*n face à un mec qui me plaît... Je ne vais pas changer de comportement. Mais du coup, je passe souvent pour la bonne copine, à cause de mon côté brut de décoffrage, je suis un peu "bourrine" et je ne suis pas celle qu’on va forcément avoir envie de draguer."
Pour elle aussi, l'image qu'elle renvoie a donné lieu à des remises en question. "Avant, ça me gênait, j’essayais de "m’adapter", mais maintenant, je m’en fous. Je me dis que ça permet de faire le tri. Avoir cette vieille image d’une fille qui doit être complètement discrète, timide, ne pas avoir d’ambition si ce n’est celle de servir son homme et de se projeter à deux, c’est pas du tout pour moi, ça me fatigue un peu."
"Je sors aussi avec des filles et il n’y a jamais eu ce souci"
Le besoin d'indépendance, visiblement, ferait aussi "fuir les hommes". En tout cas, c'est ce qu'on a fait sentir à Prescillia, 22 ans. "Ça m’est arrivé plus d’une fois. Ça m’a plutôt freinée positivement dans des relations que je n’avais pas envie d’entretenir. J'ai pour projet de bouger énormément, et de ne pas avoir de situation géographique stable. Mon ex m'a souvent dit ‘T’as pas besoin de moi, je passe après, si j’étais à ta place, j’aurais trouvé une solution pour rester près de toi', alors que ça faisait un mois seulement que j’étais avec. Je trouvais ça un peu extrême", raconte-t-elle.
"À chaque fois que je voulais prendre des petites décisions qui me rendaient plus heureuse, mais qui m’éloignaient un peu de lui, il se sentait abandonné. Il me disait 'mais tu te débrouilles très bien tout seule.' Bah oui, je me débrouille très bien toute seule, si je choisis d’être avec quelqu’un c’est parce que je suis heureuse seule, c’est parce que j’accepte d’introduire quelqu’un dans ma vie qui m’apportera un plus, et pas qui va me freiner. Je n’ai pas besoin d’un frein, j’ai besoin d’un compagnon d’aventure et de quelqu’un qui a des projets, qui veut qu’on construise ensemble et pas détruire ce que j’ai déjà", renchérit-elle. D'ailleurs, l'indépendance et l'ambition font partie de ce que la jeune femme recherche chez un homme : "Ça fait le tri dans mes relations. C'est un sujet que j’aborde dès le départ pour voir si ça dérange ou non la personne désormais (son besoin d'indépendance; ndlr). Parce que la première fois, c’était assez traumatisant."
Prescillia, qui est aussi attirée par les femmes, a bien remarqué que son besoin de liberté posait problème uniquement aux hommes : "Avec les filles, et il n’y a jamais eu ce souci. Au contraire, elle me disaient 'C’est trop cool, je t’accompagnerai, je t’aiderai. J’ai envie de te voir heureuse, si c’est ça qui te rend heureuse, je t’aiderai à le réaliser.' C’est une énergie qui est complètement différente."
"C’est important de le souligner, je pense que certains hommes ont des "mommy issues", dans le sens où on leur a toujours apporté cette maternité, et ils ont du mal à se détacher de cette image-là. Ils recherchent toujours une seconde maman chez leur partenaire, sauf que nous on n’est pas là pour les éduquer, ce n'est pas notre rôle", estime-t-elle. "Il faut trouver comment "dealer" avec tout ça, derrière, ça pose la question des tâches ménagères, de l'argent dans le couple... Et on a quand même tendance à penser que "le chef de famille", c'est celui qui gagne le plus d'argent, c'est assez ancré. Ça dépend de quelle manière ils (les hommes; ndlr) ont été élevés et quel est leur modèle familial aussi" analyse de son côté Alexandra Vatimbella.
Vidéo. "Arrêtez de dire que les femmes sont vénales quand elles parlent d’argent dans le couple"
"Sous prétexte que t'es forte, tu prends beaucoup de choses dans la gueule"
Alyssa*, 27 ans, est propriétaire de son appartement, qu'elle a acheté seule et a toujours été indépendante financièrement. C'est le cas, évidemment de beaucoup de femmes, mais cela, et le fait qu'elle soit débrouillarde, bricoleuse et féministe suffit, parfois, à l'isoler : "J’ai l'habitude de dire que quand je rentrerai dans la vie d’un mec, c’est parce que je serai la cerise sur son gâteau. J’estime que le mec devra être comme moi, ambitieux, indépendant, etc. Mais autour de moi, je suis toujours confrontée aux mêmes choses : 'Elle n'a pas besoin d’aide, elle est forte.' J’ai l’impression que les mecs, de manière générale, ne trouvent pas leur place à côté de moi. Parce que je n’ai pas besoin des hommes, j’en ai envie, ce n'est pas la même chose, mais par conséquent, ils restent à la porte de ma vie sans jamais y entrer vraiment, parce que je n'ai pas besoin d'eux. Je trouve que dire ça, ça signifie qu’il faudrait que je sois dépendante pour être avec quelqu’un, et il en est hors de question. Je suis persuadée que c’est ça qui fait fuir les mecs, c’est qu’ils comprennent bien qu’ils vont avoir difficilement le dessus sur moi."
La jeune femme a aussi constaté que parfois, son entourage se permettait davantage de choses avec elle : "Sous prétexte que t'es forte, féministe et indépendante, tu prends beaucoup de trucs dans la gueule émotionnellement, tu te fais marcher dessus et ça fait quand même mal au coeur. Sauf que quand tu réponds, ça renforce cette image qu'on a de toi et ça t'isole encore plus. On se dit 'Elle n'a pas besoin de mec, je ne vais pas lui en présenter.'" Alyssa est lassée des clichés sexistes qui collent aux femmes, d'autant plus aux femmes célibataires et indépendantes : "Si t'es trop masculine, certains vont dire que t'es lesbienne et que tu veux pas l'assumer, d'autres vont dire que t'es juste trop ch*ante et insupportable... Je passe pour la féministe ch*ante de base. Peut-être que je veux juste quelqu'un qui me respecte et qui soit à égalité, qui ne soit pas impressionné par ma façon de faire, mes réussites ou mon indépendance."
Ces insécurités, dans les remarques de ceux qui les donnent ou dans l'inquiétude de ce qui les reçoivent, révèlent une autre injonction : celle d'être en couple, le couple restant extrêmement valorisé encore aujourd'hui. "Ça (les remarques ; ndlr) renforce cette idée qu'on n'est pas normale parce qu'on est célibataire, alors que ce n'est peut-être juste pas une priorité dans une vie, ces femmes n'ont personne parce qu'elles n'en ont pas besoin. Elle ne prennent pas le premier qui passe parce qu'elles ne sont pas en manque, il y a aussi beaucoup de personnes en couple parce qu'elles ne savent pas gérer le fait d'être seules", déclare Alexandra Vatimbella.
"Des mecs m’ont déjà dit que je faisais peur physiquement"
L'indépendance, le caractère affirmé, le côté "grande gueule" avec de l'humour, l'engagement... Toutes ces caractéristiques valorisées chez les hommes semblent être dénigrées chez les femmes, qui peuvent en pâtir en amour. Mais, malheureusement, ce n'est pas tout : sur le plan physique, certaines femmes aussi sont perdantes, car jugées "trop masculines". Trop musclées, trop grandes, pas assez fines ou délicates, elles sont parfois évincées. Gia*, 27 ans, en a fait l'expérience : "Ça m’est arrivé d’être "trop intimidante", pourtant je n’ai vraiment pas confiance en moi. Des mecs m’ont déjà dit que je faisais peur, physiquement. On m’a déjà dit par SMS, 'quand je t’ai vue, j’ai cru que t’allais me tuer.' Je n'ai pas le visage "mignon", qu’on pourrait attendre d’une fille. J’ai le visage assez carré, un grand nez, pas celui de la fille toute mimi, toute douce. Je porte déjà physiquement ce truc assez intimidant, et chez des mecs ça a déjà été assez problématique. En date, ils se sont vite refermés sur eux-mêmes."
Ces propos blessants, Gia les a entendus dès le collège. "J’en ai pas mal souffert avec les mecs. Pendant tout mon collège et mon lycée, c’était 'Elle a la gueule d’un mec, elle a pas l’air hyper avenante, elle a l’air froide...' Je me faisais harceler parce que j’avais de la moustache, mes copines ne me disaient jamais que j’étais jolie, et ça j’en ai souffert énormément. J’ai eu des copains qui me disaient 'Tu me fais flipper', alors que je suis normale. Au début, j’ai essayé de changer mon physique, au collège et au lycée, je me maquillais beaucoup, pour essayer d’être très féminine, pour essayer de faire moins peur aux gars. Parfois, je me suis dit que je serais plus tranquille avec une meuf, parce qu’au moins on se comprendrait."
S'il lui ont laissé des séquelles, ces comportements ont permis à Gia, aujourd'hui en couple avec un homme, de faire le tri dans son entourage : "Ça révèle qu’on a encore l’image de la meuf qui doit correspondre aux standards de beauté, avoir des traits doux, être très maquillée… Pour ne pas faire peur, il faut être quand même mignonne. Maintenant, je repère les mecs qui ont peur de moi. Les gros machos, en fait, ils ont peur des femmes. Les mecs, sains, peut-être plus calmes, ou doux au premier abord, ils n’ont pas peur."
*Les prénoms ont été modifiés.
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