"C’est arrivé du jour au lendemain" : elles ont découvert le sexisme de leurs amis et n’arrivent pas à passer outre
Lors des Brits Awards, mi-février, l'artiste britannique Tom Grennan a commenté en direct la poitrine d'Elie Goulding, heurtant de nombreux spectateurs, qui ne cautionnent pas son comportement et l'ont jugé sexiste. La chanteuse a tweeté un message en défendant son "ami", assurant qu'il était un "allié" de la cause féministe. Si cela peut sembler anecdotique, parce qu'Elie Goulding a affirmé ne pas avoir été blessée par cette remarque, cet épisode, post-#MeToo, n'est pas passé inaperçu. Où placer le curseur de la tolérance, qui plus est, quand ces comportements émanent d'hommes de notre entourage ? Pour Yahoo, plusieurs femmes racontent les fois où des hommes qu'elles estimaient les ont déçues.
"J'adore ce que tu fais. Ce sont tes vrais seins ?" a demandé Tom Grennan à Elie Goulding, sur la scène des Brits Awards. Les deux chanteurs s'apprêtaient à remettre la récompense du nouveau meilleur artiste de l'année, le samedi 11 février à Londres. La chanteuse de 36 ans portait un haut noir qui semblait avoir été sculpté sur sa poitrine. "Non, ce ne sont pas les vrais", a répondu l'intéressée, qui semblait mal à l'aise face à la question, selon certains de ses fans. "J'aimerais bien. Les miens sont beaucoup plus éloignés. Malheureusement", a-t-elle ajouté.
Face à la polémique que ce commentaire a suscité, Elie Goulding a tenu à poster un message sur Twitter :
"Un mot sur le Brit/tit (téton en anglais; ndlr) gate... Je portais un beau plastron, merci à tous de l'avoir apprécié. Mon ami Tom Grennan est un allié à 100% et nous nous sommes amusés un peu. Aucune offense n'a été faite, aucun mal n'a été fait et aucune autre interprétation n'est nécessaire."
A word on Brit/ tit gate … I was wearing a beautiful breastplate, thank you all for appreciating it ;) My friend @Tom_Grennan is 100% an ally and we were having a bit of fun. No offence taken, no harm intended- and no other interpretations necessary x
— Ellie Goulding (@elliegoulding) February 12, 2023
Tom Grennan s'est lui aussi exprimé publiquement, en présentant ses excuses. "Ce qui a commencé comme une blague entre Ellie et moi avant de monter sur scène a mal tourné. (...) Les nerfs ont pris le dessus, mais cela n'excuse pas ce qui a été dit, et je m'excuse sincèrement auprès de ceux qui ont été offensés. Ce n'est pas du tout moi, et je suis désolé."
"Je me serais défendue avec n'importe qui d'autre, mais Laurent est un ami"
Mais pour certains internautes, le mal est fait. "Normaliser le comportement d'hommes qui font des commentaires non désirés, grossiers et suggestifs sur le corps des femmes, ce n'est pas ça. C'est génial que ce soit des blagues pour vous deux, mais ça donne un mauvais exemple", a déclaré un utilisateur.
Ce n'est pas la première fois, évidemment, qu'un homme se permet des propos ou des comportements sexistes à la télévision, et qu'il est excusé par son "intention de faire une blague" à la victime, son "amie". Ainsi, en 2017, sur le plateau de "Salut les Terriens", sur C8, Laurent Baffie remonte brusquement la jupe de Nolwenn Leroy. Choqués, de nombreux téléspectateurs avaient alors envoyé des lettres au CSA pour qu'il prenne des sanctions. La principale intéressée, elle, a toujours défendu l'humoriste : "Si je m'étais sentie agressée, je me serais défendue et je lui aurais donné un coup de coude dans la figure. Je l'aurais fait avec n'importe qui d'autre, mais Laurent est effectivement un ami, on se connaît depuis quinze ans et il a toujours été bienveillant et respectueux avec moi" avait-elle expliqué au Parisien.
Ces comportements sexistes en direct sont de plus en plus pointés par les spectateurs, notamment post #MeToo. Cette libération de la parole, survenue en 2017, a bousculé nos convictions jusque dans l'intime et a eu des conséquences très concrètes sur l'omerta et la "tolérance" qui pouvait encore régner vis-à-vis des auteurs de violences sexistes et sexuelles. Ainsi, les plaintes pour viols, tentatives de viols ou agressions sexuelles sont passées en France de 41 600 en 2017, année du mouvement #MeToo, à 75 800 en 2021, ont constaté les autorités auprès de l'AFP.
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Mais quand ces actes ou ces propos irrespectueux envers les femmes, qui vont à l'encontre des idées féministes, sont commis ou prononcés dans l'entourage, de la part d'hommes admirés et estimés, comment réagir ? C'est parfois l'attitude de certains hommes avec d'autres femmes qui les montrent sous un jour que l'on aurait préféré ne jamais voir... Si Elie Goulding ou Nolwenn Leroy ont préféré excuser leurs "amis", ce n'est pas toujours le cas et certaines femmes sont profondément déçues, quitte à réinterroger leurs relations.
"Je le voyais vraiment comme un allié, ça m'a beaucoup déçue"
Ainsi, quand Claire* a découvert ce que Sam*, son ami de longue date rencontré au lycée, son "frère", s'était permis de faire, elle a "pété les plombs". "C’est quelqu’un qui s’est toujours éduqué aux combats féministes, pour qui ça a toujours été important de respecter les femmes, qui a toujours été le premier à bondir quand il entendait des trucs sur nous (ses amies; ndlr). Mais il m’a vraiment déçue quand Jade*, qui était aussi mon amie, l’a quitté. Il n’a pas du tout accepté la rupture. On a appris qu’il s’était fait un faux compte sur un site de rencontre et qu’il l'avait "stalkée", il s’était fait passer pour un autre mec et lui avait parlé par message pendant des semaines.
Je l’ai appelé, je l’ai confronté, il a essayé de mentir les cinq premières minutes avant d'avouer. Je m’étais dit : 'Il ne comprend pas la valeur du consentement'. Ça fait des mois et des mois qu’elle te dit qu’elle ne veut plus être avec toi, tu le sais très bien et tu te permets de te faire passer pour quelqu’un d’autre. Après on a appris qu’il demandait son adresse, qu’il lui envoyait des trucs… Pour moi, c’était vraiment un comportement hyper anti-féministe. À ce moment-là, lui il ne le comprenait pas, il me disait que c’était surtout le comportement d’un mec encore amoureux de son ex. Pour moi, ça allait au-delà de ça, c’était estimer qu’une femme est ton objet et ta propriété et ne pas accepter ce qu’elle te dit. Je le voyais vraiment comme un allié et ça m’a beaucoup déçue".
"Il a été voir un psychologue pour essayer de comprendre pourquoi il faisait ça"
Célia* aussi a été outrée lorsqu'elle a appris ce que faisait, en cachette, l'un de ses amis proches. "Je le connaissais depuis le collège, c’était vraiment un mec adorable avec qui je m’entendais très bien, un de mes meilleurs amis", explique-t-elle. Mais quand elle a découvert les agissements du jeune homme, Célia est tombée des nues. "Un jour j’ai appris qu’il s’amusait à prendre des photos de femmes à la plage. Des photos de leurs fesses… Sans leur consentement. Il a aussi pris des photos d’une de mes amies qui l’a su, qui l’a vu faire et qui l’a confronté au bout d’un moment. Il a été obligé d’avouer ce qu’il avait fait."
Après cela, l'ami de la jeune femme a débuté une thérapie, mais Célia a décidé de couper les ponts : "Il a été voir un psychologue pour essayer de comprendre pourquoi il faisait ça, mais moi je n’ai jamais su passer au-dessus de cette histoire. Même s’il n’y a pas eu d’agression physique, pour moi ça reste quelque chose d’horrible, à ne pas faire. Du coup, je ne lui parle plus parce qu’il a fait ça."
Anaïs* a, elle, du mal à accepter le comportement d'un de ses amis, qui manifeste pourtant le 8 mars et semble très engagé sur les questions féministes. Professeur, il répète un schéma déroutant avec ses conquêtes. "Ce que je ne cautionne pas, c’est le fait qu'il flirte ou couche avec des anciennes élèves, toujours plus jeunes que lui. Je me demande s’il n’y avait pas une certaine forme de domination de sa part sur elles, du fait de son statut et de son âge ? J’en ai déjà parlé avec lui. Je me demande s’il en a conscience et si les femmes avec qui il est en relation ont conscience de ça aussi. Ce n'est pas une déception mais plus une interrogation, je me dis que les hommes ne sont pas très déconstruits encore, notamment sur la notion d'abus de pouvoir."
"Il avait un peu des "délires d'incel""
Parfois ce ne sont pas les actes, mais simplement les propos, les opinions d'hommes de l'entourage qui peuvent heurter et faire même reconsidérer une amitié vieille de plusieurs années. Julie* a récemment noté "un changement dans le comportement" d'un de ses amis de longue date. "C’était quelqu’un qui était très "à gauche" pendant longtemps, et je pense que c’est peut-être son statut professionnel qui l’a changé. Il travaille loin de notre groupe de potes du lycée et on se voit de moins en moins." Bastien* s'est ainsi éloigné peu à peu de son groupe d'amis avec qui il a grandi, qui a eu du mal à comprendre ses positions.
"Il m’a déçue et je ne suis pas la seule, j’ai l’impression que c’est arrivé du jour au lendemain. Par exemple, un peu avant le jour de l’an, on parlait de calvitie. Il a commencé à nous dire que les hommes étaient discriminés de part leur physique, il était dans la victimisation. Et tout était de la faute des femmes. J’essayais de rester calme, de lui dire que ça n’avait aucun sens, mais il continuait. Au bout d'un moment, j’ai arrêté de parler et je suis partie." Face à ce type de discours, Julie et son groupe d'amis décident d'un commun accord d'éviter de parler de féminisme avec Bastien : "On ne voulait pas d'embrouilles".
Le 31 décembre, où le cercle d'amis de Julie et Bastien se retrouvent, se passe à merveille. Mais subitement, Bastien disparaît de leur discussion en commun. "Du jour au lendemain, il a quitté la conversation de groupe en disant qu’on ne comprenait pas son mal-être. Quand j’en ai parlé avec un pote qui avait un peu vécu avec lui, il m’a confié que Bastien avait un peu "des délires d’incel", à dire 'si je ne plais pas, c’est de la faute des femmes'".
Julie ne sait toujours pas vraiment ce qui a poussé son ami à rompre le lien. "Je ne pensais pas forcément à couper les ponts, mais lui l’a fait. Une fois, ma mère l’a cramé sur Facebook, il avait commenté sous une publication 'ouin ouin les féministes', c’est devenu ce genre de mec-là."
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"Ces mecs-là, si je les rencontrais aujourd’hui, je ne pourrais pas être amie avec eux"
Aujourd'hui encore, les violences sexistes et sexuelles sont fréquentes. Par exemple, selon le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes, on dénombre ainsi 1,2 million de femmes victimes d'injures sexistes en 2017. La même année, un sondage commandé par Le Figaro et FranceInfo a révélé qu'une femme sur deux aurait déjà subi une violence sexuelle.
Mais les jeunes femmes, notamment post #MeToo, semblent être plus vigilantes et intransigeantes sur le sujet. "J’ai l’impression qu’après #MeToo, j’ai dû faire le tri dans mes amis, parce qu’il y en a certains qui n’ont pas évolué avec la société", estime Claire. "Je me disais 'non mais ce sont mes amis, ils ont de belles valeurs'. En fait j’étais dans le déni et je ne voulais pas me dire que ces mecs-là, si je les rencontrais aujourd’hui, je ne pourrais pas être amie avec eux. Je me rends compte de choses que j’acceptais avant, que je ne repérais même pas, et qu’aujourd’hui je ne supporterais plus."
La libération de la parole a engendré de nombreuses remises en question et débats, même au sein des familles. "Au moment de #MeToo, mon frère m’a déçue aussi. Ça le saoulait qu’on en parle… Il avait ce discours où il plaignait le mec qui était "jugé sur la place publique"", se souvient Anaïs. Si certaines se sont éloignées ou ont confronté directement la personne, il n'est pas toujours simple de s'opposer à des amis, des hommes que l'on admire et en qui on a confiance. Mais parfois, il devient difficile de concilier convictions féministes et comportements sexistes, conscients ou non.
"Chacun trouve son équilibre comme il peut"
"Est-ce qu’une amitié avec un homme sexiste mérite qu’on se batte pour elle ? C’est bon, en tout cas, de se poser la question, de garder en tête qu’il y a toujours la possibilité d'arrêter de fréquenter cette personne. Parfois, il faut couper les ponts en dépit du lien émotionnel qui peut nous lier et je pense aussi qu’on sous-estime le boost de respect et de confiance en soi qu’on gagne quand on arrête d’accorder du temps à des gens qui ne nous méritent pas", déclare Myriam Haegel, créatrice de contenus et autrice du livre "Ils vécurent heureux - Guide de survie d'une féministe en couple hétéro".
Mais elle tient à préciser qu'il convient d'abord d’être indulgent avec soi-même : "Il y a plein de gens qui ont peur de se couper de leur entourage et de se retrouver seuls s’ils sont trop intransigeants. C’est un chemin, chacun trouve son équilibre comme il peut, et il ne faut pas se flageller si on n’envoie pas valser nos proches à la première remarque sexiste. Je pense que c’est bon de se rappeler que soi-même, on a appris sur le féminisme, on n’est pas né avec ces connaissances, tout en gardant aussi en tête que notre boulot ce n’est pas d'être pédagogue gratuitement et qu’il faut a minima du respect et de la bonne volonté en face. Il faut qu’on soit face à des hommes qui ont vraiment envie d’apprendre, et potentiellement de changer leur comportement voire leur vision du monde, sinon on s’épuise contre des moulins à vent."
Si tout cela ne suffit pas, il est aussi bon de rappeler aux plus réfractaires que le féminisme bénéficie en réalité à tous, comme l'explique Myriam Haegel. "C’est aussi l’acceptation des corps, des identités plurielles, l’acceptation des hommes qui ne rentrent pas dans les codes de virilité. C’est un mouvement vers l’égalité à tous les niveaux, vers plus de soins accordés à la santé mentale des hommes." Désormais, vous saurez quoi dire lors du prochain débat.
Vidéo. Aurélie Lévy : "Beaucoup d'hommes sont aussi victimes de la société patriarcale"
*Les prénoms ont été modifiés.
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